Retrouvez chaque mois l'éditorial du Délégué général de la FCA dans Repères Flash, la revue mensuelle de la FCA réservée à ses adhérents.
Un raz-de-marée. Le mot est fort, oui, et à la hauteur d’une réalité qui donne le tournis : en 2024, Shein, Temu et AliExpress ont déversé 4,6 milliards de colis d’une valeur de moins de 150 euros sur le marché européen, 145 par seconde, 91% des flux, deux fois plus qu’en 2023, trois fois plus qu’en 2022. Et l’immense majorité de ces produits, 66% pour rester précis, ne respectent pas les normes, ni sanitaires, ni environnementales, constituant de fait un véritable danger public. A cela s’ajoute le fait qu’en toute conscience, ces géants du commerce en ligne contournent sans difficulté nos cadres fiscaux. Si les avancées technologiques et le politique ne procèdent bien souvent pas des mêmes temporalités, cette asynchronie permet à des acteurs volontaires d’instituer des systèmes de dépendance d’une extrême sophistication dont le coût pour s’en défaire est si astronomique que cela en devient une sorte de mission impossible. Et comme un malheur arrive rarement seul, avec Amazon Haul, le géant américain de la vente en ligne se lance dans une surenchère avec le déploiement d’une plateforme de commerce à très bas prix dont les produits sont expédiés depuis la Chine. « Des articles de mode, de maison, de style de vie, d’électronique et d’autres produits encore plus abordables à des prix ultra-bas situés entre 20 et 1 dollars, avec des remises dès 50 dollars d’achat, l’envoi et le retour gratuits à partir de respectivement 15 dollars et 3 dollars d’achat », telle est la promesse de la firme au sourire… jaune. Et après la Grande-Bretagne, la France pourrait être son prochain point de « débarquement ».
Que reste-t-il à espérer ? Qu’enfin les autorités françaises et européennes saisissent l’ampleur des enjeux et se ressaisissent sans tarder afin de légiférer sur l’activité de ces plateformes : interdiction de publicité, malus environnemental plus important et étendu aux livraisons aériennes, contrôles renforcés, suppression de l'exonération de droits pour les colis d'une valeur inférieure à 150 euros, présence fiscale obligatoire, notation publique des plateformes selon leur niveau de conformité… A l’heure où les défaillances d’entreprise connaissent un triste record, où la société plus que jamais a besoin de lien social renforcé et les territoires de préserver leur vitalité, se payer de mots, fusse-même en plusieurs fois sans frais, reviendrait à s’accorder un luxe qui n’est plus dans nos moyens.
Bien que l’Europe se soit progressivement mue en un espace unifié prospère et rationnel, elle n’a pourtant jamais paru aussi vulnérable qu’en ces temps bien agités, comme si, hantés par leurs songes, les dirigeants qui gouvernent l’Union européenne et les Etats membres marchaient droit vers le danger comme des somnambules. Mais à passer des pactes faustiens, c’est à sa liberté et à son âme que l’on renonce. Et ce que nous perdons aujourd’hui, le sera pour toujours.