
La transmission d’entreprise est une étape clé de la vie économique, mais elle reste souvent complexe. Pouvez-vous nous dire quels sont les grands enjeux actuels autour de cette problématique, notamment dans le Commerce Coopératif et Associé ?
Camille Le Rouzic Denoual : En France, on ne sait pas encore bien transmettre. La cession est souvent subie, rarement anticipée et encore moins préparée. Les repreneurs sont quant à eux isolés, sous-financés et mal accompagnés, tandis que la fiscalité pèse sur la transmission familiale. Les dispositifs comme le pacte Dutreil sont essentiels mais perçus comme complexes et insuffisants face à la pression fiscale.
Et les aspects techniques ne sont qu’une partie de l’équation. La question du « qui succède », les rivalités, l’attachement psychologique à l’entreprise, ou encore l’absence d’un leadership clair après la transmission peuvent aussi provoquer des échecs.
Transmettre une entreprise, ce n’est pas seulement la céder mais ancrer une économie. C’est précisément pour assurer la continuité de ce patrimoine productif, lever les freins à la transmission et faciliter la rencontre entre cédants et repreneurs que le gouvernement a annoncé le lancement d’une « Mission Reprise » menée par la direction générale des entreprises [mission à laquelle la FCA est étroitement associée, NDLR].
Qu’est-ce qui complique cette reprise dans le cadre du Commerce Coopératif et Associé, en particulier ?
C.L.R.D. : Dans le Commerce Coopératif et Associé, la reprise d’un point de vente va au-delà d’une simple opération économique : elle implique une véritable intégration dans un collectif d’entrepreneurs indépendants, qui partagent une marque, une vision, et un socle de valeurs communes.
La réussite de la reprise repose à la fois sur la capacité du repreneur à maîtriser les processus au sein du groupement, mais aussi et surtout sur sa volonté de s’impliquer activement dans la vie démocratique du réseau. Contrairement à la franchise, le commerçant associé est aussi copropriétaire de l’outil coopératif : il est partie prenante des enjeux stratégiques globaux, tout en pilotant la performance de son propre point de vente.
Les contraintes économiques actuelles (inflation, pression sur les marges, coût d’acquisition du fonds…) restent bien sûr présentes. Mais elles s’accompagnent dans le commerce coopératif et associé d’exigences supplémentaires : s’appuyer sur l’intelligence collective, respecter un cadre commun tout en gardant son autonomie, et s’engager durablement dans le projet coopératif.
C’est cette double dimension, entrepreneuriale et collective, qui rend la reprise plus exigeante mais aussi bien plus pérenne lorsque le bon profil est trouvé.
Y a-t-il aussi un enjeu de valorisation ?
C.L.R.D. : Tout à fait. Beaucoup de commerçants sous le modèle coopératif et associé peinent à valoriser correctement leur entreprise. Entre les investissements initiaux, les cotisations, l’interdépendance avec les autres associés ou adhérents, les critères classiques de valorisation ne suffisent pas. Sans oublier les services proposés par le groupement, la notoriété de l’enseigne ou encore les perspectives locales du marché et du secteur géographique.
Quelles sont alors les pistes pour faciliter cette transmission ?
C.L.R.D. : : Il est essentiel d’anticiper. Trop d’entrepreneurs attendent le dernier moment. Ensuite, il faut professionnaliser l’accompagnement en s’appuyant sur des experts, structurer les financements, guider les repreneurs dans l’environnement juridique et fiscal, préserver les savoir-faire, et favoriser l’intra-transmission, c’est-à-dire la reprise par un salarié. Enfin, de plus en plus de groupements repensent leur accompagnement en créant des dispositifs d’identification et de formation des repreneurs, voire en assurant directement la transition. Certains rachètent en propre un point de vente qui n’a pas encore trouvé d’acquéreur. L‘objectif : assurer sa gestion le temps de finaliser un projet de reprise par un coopérateur ou un associé, existant ou nouveau.
Le financement reste souvent l’un des principaux freins à la reprise d’entreprise. Quel est l’intérêt, concrètement, de faire appel à un courtier en financement professionnel dans ce contexte ?
C.L.R.D. : Le courtier joue un rôle d’intermédiaire stratégique entre le repreneur et les établissements financiers. Dans un projet de reprise, et notamment dans le commerce coopératif et associé où les montants peuvent être conséquents, le montage financier doit être solide, cohérent, et rassurant pour les partenaires bancaires. Le courtier aide à structurer et à optimiser ce plan de financement en identifiant les bons leviers : apport personnel, emprunts bancaires, aides publiques, crédit-vendeur parfois, mais aussi la partie contre garantie bancaire et assurance. Il assure la traduction du projet dans un « langage bancaire ».
Cela peut faire la différence face aux banques ?
C.L.R.D. : Ça fait même toute la différence. Les banques reçoivent beaucoup de demandes, un dossier mal monté sera vite écarté et il sera très difficile par la suite de le soumettre à nouveau. Le courtier, lui, connaît les attentes des financeurs, leur niveau d’appétence selon les secteurs, les réseaux d’enseigne, les régions. Il est capable de présenter un dossier solide, avec une argumentation technique adaptée. Cela augmente considérablement les chances d’obtenir les financements nécessaires, en respectant le timing imposé pour ce type d’opération.
Quel impact cela a-t-il sur le temps et l’énergie qu’un repreneur consacre à son projet ?
C.L.R.D. : Monter un dossier de financement complet est chronophage et peut vite tourner au casse-tête pour un entrepreneur qui, en parallèle, doit mener la négociation avec le cédant, gérer les aspects administratifs et juridiques, assurer les échanges avec le groupement, et bien souvent préparer sa transition de carrière. Le courtier en financement professionnel permet de déléguer cette partie technique, tout en gardant la main sur les décisions. C’est un gain de temps, d’efficacité et de sérénité.
C’est aujourd’hui un partenaire stratégique, au même titre qu’un expert-comptable ou un avocat. Dans un contexte de durcissement de l’accès au crédit, son rôle est crucial.
En fin de compte la transmission d’entreprise, notamment dans le Commerce Coopératif et Associé, ne peut plus être abordée à la légère ?
C.L.R.D. : La transmission doit être minutieusement préparée et pas improvisée. C’est un processus structuré, avec des enjeux humains, juridiques, financiers et commerciaux importants. Anticiper, s’entourer des bons partenaires – experts, groupement, courtier – et bâtir une stratégie claire sont les clés d’une transmission-reprise réussie. Ce n’est pas qu’un acte juridique mais bien un projet à part entière qui se construit. Plus vous anticipez, plus vous aurez de chances de réussir cette étape cruciale.
Surtout, transmettez aussi votre énergie, votre vision, votre expérience ! Une entreprise n’est pas qu’une clientèle ou un chiffre d’affaires. C’est une histoire que l’on transmet.