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Publié le 29 mars 2023
Avocat d’affaires, Jean-François Tessler a participé au développement du groupement Système U. En tant que membre expert de la FCA, Jean-François Tessler revient sur son parcours, entre anecdotes et amour du métier.
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Issu d’un milieu parisien médical et universitaire, rien ne prédestinait Jean-François Tessler à cette carrière. C’était sans compter sur le virus de la coopérative qu’il a attrapé en assistant à la croissance continue du modèle. Rencontre avec cet avocat d'affaires, membre expert de la FCA.

Quel parcours vous a mené à Système U ?

Jean-François Tessler : Mon parcours ne me conduisait pas à m’intéresser aux coopératives. Je viens plutôt du monde des grandes entreprises multinationales. J’ai été formé en France, à Paris 2 Assas, en obtenant un DEA de droit civil approfondi puis de droit pénal, avant de passer une année aux États-Unis, après cinq ans de pratique française comme avocat au sein d’un cabinet internationaliste bien connu, le cabinet Gide Loyrette Nouel, une vraie pépinière ! En termes de pratique au sein de ce cabinet tourné vers le conseil et le contentieux en droit des affaires, j’ai eu la chance, entre autres matières, d’y découvrir l’arbitrage commercial, seul système de résolution des litiges commerciaux internationaux permettant d’éviter les conflits de juridictions. Paradoxalement, c’est l’arbitrage international qui me conduira jusqu’à Système U, mouvement profondément ancré dans le terroir français : à l’occasion d’une acquisition boursière à Nantes, où je représentais un fonds helvético-arabe, mon chemin a croisé celui de Jean-Charles Guéguen, conseil du cédant… et par ailleurs conseil juridique historique de Jean Claude Jaunait, fondateur de Système U. Une amitié est née et Jean-Charles est devenu mon mentor « en coopératives ». Je lui dois beaucoup.

Dans quel contexte avez-vous accompagné la ?

J.-F. T. : Jean-Charles Guéguen m’a présenté aux dirigeants de Système U comme un avocat spécialiste du contentieux arbitral, à une époque où les contentieux de réseaux commençaient à fleurir. La plupart des contrats d’affiliation dans la grande distribution comportait des clauses d’arbitrage, sans d’ailleurs que les dirigeants des grandes centrales ne visualisent toujours très bien quel en était le mécanisme… J’ai alors assisté notamment de nombreux propriétaires de magasins souhaitant rallier Système U, englués dans des contrats complexes et sans issue. De là est née une relation intense avec U, particulièrement sa centrale Est, pendant une vingtaine d’années. Je n’ai pas honte de dire que la qualité des hommes que j’y ai rencontrée, associés ou permanents, et les épopées que j’y ai vécues, m’ont fait attraper assez rapidement le virus « coopératif » ! À cette époque naissaient régulièrement des problématiques, à la fois de développement et de protection des réseaux. Jusqu’en 1998, le réseau U était protégé par un « droit de préemption ».

Quand un associé voulait vendre, il devait proposer à sa coopérative de l’acheter à égalité de prix et conditions. Face à des concurrents disposant de moyens capitalistiques sans limite, et à une augmentation sensible de la valeur des magasins du fait de la loi Raffarin, le réseau U était « cannibalisable » et n’a pas manqué d’être attaqué. Les survaleurs offertes par la concurrence pour certains magasins auraient pu conduire rapidement à la ruine des coopératives régionales. Les s cédants n’étaient pas toujours insensibles aux belles offres… Un regroupement envisagé avec E. Leclerc a été déclencheur pour la mise en place chez U de l’offre préalable de vente (OPV), qui évitait la consultation et la prédation des tiers. Au delà de la mise en place de ces protections, nous avons dû plaider aussi pour déjouer des dossiers de fraude assez caricaturaux. Vous les raconter prendrait des jours… et je ne rassurerai sans doute pas vos lecteurs en vous indiquant que le dernier d’entre eux que je suis encore pour U… rentre dans sa 25e année !

Quels éléments vous ont attiré dans le modèle ?

J.-F. T. : Ma première vie professionnelle était axée autour d’institutions dominantes et du cours de bourse. Avec U, j’ai vu une autre facette du monde des affaires, tournée autour des hommes. Au sein d’une coopérative, vous êtes en présence d’une communauté de personnes… qui se savent condamnées, pour leur propre survie, si ce n’est à s’aimer, du moins à s’entendre et à se faire confiance. Leur sort individuel est lié au sort des autres ; l’indépendance dans l’interdépendance. Cela est vrai aussi, dans une certaine mesure, au sein d’un réseau de franchise, mais ce qui fera la différence, c’est ici la maîtrise par ses utilisateurs, des services et moyens communs, qui ne sont pas imposés mais partagés et décidés en commun par ses utilisateurs et bénéficiaires. Seul ce modèle explique à mes yeux ce que le Professeur Paul le Floch définit comme constituant « la performance coopérative ». Ne soyons pas naïfs pour autant : le schéma coopératif n’est pas un monde de Bisounours, ni un modèle purement libertaire. Son bon fonctionnement requiert discipline et contraintes. Mais, quelle joie de croiser des personnalités ayant débuté leur carrière à l’adolescence faire fortune après 45 ans d’une carrière et, les yeux embués, dédier leur réussite au moment de leur départ à leur coopérative et à leurs collègues !
Quand je travaillais pour Système U, j'ai eu vraiment beaucoup de reconnaissances de nombreuses personnes pour toutes les actions menées, les efforts que l’on déployait. Ce qui n'est pas toujours le cas pour une multinationale. J'ai rarement eu des lettres de compliments quand je gagnais une affaire. On a travaillé de manière imbriquée, j'ai eu le sentiment de leur être utile. Quand vous participez à ces actions, vous avez envie de vous impliquer et vous êtes très motivé. De plus, les flux financiers de la grande distribution font qu'ils vous donnent les moyens de travailler. La coopérative paie un supermarché qui réalise un C.A de 15 M par an, elle va perdre 10 M d'approvisionnement par an sur lequel elle comptait pendant 10 ans. Face à cette situation, vous avez les moyens de faire un procès. Avec Système U, j'avais une relation suffisamment confiante pour ne pas compter mon temps. Quand j'ai commencé à travailler pour Système U, ils avaient une mentalité très combative avec en face des groupements beaucoup plus importants avec des moyens sans limites. Tous ces groupes essayaient de piquer les magasins U. La motivation était d'autant plus importante que j'avais en face de moi des adversaires redoutables. Cette période de ma vie professionnelle était donc extrêmement passionnante. Aujourd'hui, je continue avec une centrale de Système U pour un dossier de 23 ans.

Pourquoi avez-vous rejoint la FCA en tant que membre expert ?

J.-F. T. : J’ai toujours gardé beaucoup d’intérêt pour le droit coopératif et le modèle qu’il promeut, et notre cabinet travaille pour d’autres coopératives. J’ai aussi publié quelques chroniques sur le sujet. Le fait d’être membre expert doit nous permettre de nous enrichir d’autres expériences et savoirs, et modestement de faire profiter d’autres entreprises et partenaires de notre propre expérience. Ce modèle, pour le commerce, est irremplaçable. Nous voudrions contribuer à sa promotion, tant nous sommes convaincus qu’il est dans l’air du temps, par sa capacité d’adaptation rapide aux contraintes d’un monde en constante évolution. Je suis très heureux de mettre à disposition de la FCA, l’expérience acquise, sans honte de revenir à l’école sur des sujets que nous connaissons moins, et de bénéficier d’une actualisation permanente de nos connaissances : le droit évolue constamment. Si l’occasion nous est donnée de mettre au service de la FCA et de ses adhérents nos compétences, nous le feront évidemment. J'ai rejoint la FCA avec enthousiasme, pour marquer notre appartenance à cette famille et poser une estampille sur notre cabinet. Je suis certain que l'avenir nous offrira l’opportunité de développer notre clientèle auprès des coopératives, comme je suis certain que la FCA peut jouer un rôle fédérateur absolument majeur pour le développement du commerce en France, à un moment où nous voyons chuter beaucoup de réseaux succursalistes ou de franchise. A mon sentiment l’heure est même venue pour la FCA de mettre en place une cellule Je serais presque tenté de suggérer, si ce n’est déjà fait, la mise en place d’une cellule de veille sur le sujet, tant l’exportation de son modèle pourrait être une voie de retournement pour des réseaux en difficulté. Et quel meilleur modèle de gouvernance et de RSE que celui des coopératives, à l’heure où ces sujets passionnent les foules ?

Quelle est votre vision de votre rôle d’expert ?

J.-F.T. : Je suis très conquérant et je pense que le modèle coopératif aujourd'hui est trop timide. Il y a un nouveau délégué qui a l'air dynamique, j'aimerais partir en conquête ensemble. Pour être présent dans beaucoup de litiges dans des réseaux de franchise, je constate que beaucoup de très belles enseignes ont compris l'intérêt à bâtir leur développement commercial en réseau d'indépendants, au lieu de multiplier les succursales avec des indépendants. Beaucoup ne savent pas faire, ou veulent le beurre et l'argent du beurre, en gardant un contrôle sur les indépendants. Dans ces réseaux de franchise et de grandes enseignes, nous allons aller vers des échecs cuisants faute d’accorder l'indépendance nécessaire aux entrepreneurs. Il doit y avoir une vraie place pour les réseaux coopératifs quitte à ce qu'ils soient associés à des grandes enseignes. Il y a moyen de développer sous forme coopérative, des réseaux très importants dans les années à venir. La souplesse qu'offre le modèle coopératif est admirable, en étant modèle de bonne gestion. J'ai été frappé par Go Sport qui se casse la figure, mais qui fait une proposition de reprise ? Intersport, qui est un réseau coopératif ? Je n'imagine pas qu'il n'ait pas eu l'idée de transformer ce réseau de franchise en un réseau coopératif. C'est typiquement le genre de sport de combat auquel j'aimerais participer.